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  • Comment saboter un pipeline
  • Comment saboter un pipeline

  • Andreas Malm

  • Préface de Mouloud Idir

  • Traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque

  • 216 pages

  • Parution le 18 octobre 2020

  • Format Frmat poche (17 x 12 cm)

  • ISBN : 978-2-924834-07-7

  • Prix : 18.95 $

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« Nous dressons nos campements de solutions durables. Nous manifestons, nous bloquons, nous adressons des listes de revendications à des ministres, nous nous enchaînons aux grilles, nous nous collons au bitume, nous manifestons à nouveau le lendemain. Nous sommes toujours parfaitement, impeccablement pacifiques. Nous sommes plus nombreux, incomparablement plus nombreux. Il y a maintenant un ton de désespoir dans nos voix ; nous parlons d’extinction et d’avenir annulé. Et pourtant, les affaires continuent tout à fait comme avant – business as usual. À quel moment nous déciderons-nous à passer au stade supérieur ? »

Confrontant l’histoire des luttes passées à l’immense défi du réchauffement climatique, Andreas Malm interroge un précepte tenace du mouvement pour le climat : la non-violence et le respect de la propriété privée. Contre lui, il rappelle que les combats des suffragettes ou pour les droits civiques n’ont pas été gagnés sans perte ni fracas, et ravive une longue tradition de sabotage des infrastructures fossiles. La violence comporte des périls, mais le statu quo nous condamne. Nous devons apprendre à lutter dans un monde en feu.

Andreas Malm, né en 1977 en Suède, est chercheur en écologie humaine et est maître de conférences en géographie humaine en Suède et militant pour le climat. Il est notamment l’auteur de Fossil Capital (Verso, 2016) et de L’Anthropocène contre l’histoire (La Fabrique, 2017).

Le réchauffement climatique est le problème vital de notre époque. Chaque nouvelle étude scientifique vient confirmer que la situation est pire que prévu, presque irréversible. Pourtant au premier rang des responsables identifiés, l’économie fossile continue de tourner à plein régime, comme si de rien était, avec le soutien affirmé ou discret des dirigeants politiques dont l’incapacité à faire face à l’écueil se révèle, de COP en COP, plus évidente. Le paradoxe est d’autant plus saisissant que le mouvement pour le climat a pris une ampleur sans précédent, organisant ces derniers mois dans les pays du Nord global des rassemblements massifs pour exiger des mesures des gouvernements. Dans le même temps, les investissements dans les énergies fossiles n’ont pas cessé d’augmenter et les projets de pipelines se multiplient. Comment cesser d’être à ce point inoffensif ?

C’est en tant qu’acteur de ces luttes qu’Andreas Malm entreprend ici une discussion critique des principes et des pratiques du mouvement pour le climat, dont la plupart des théoricien·nes plaident pour la non-violence et revendiquent l’héritage des Suffragettes, de Gandhi ou de Martin Luther King. Replongeant dans l’histoire de la désobéissance civile, Malm rappelle que la mise en œuvre de stratégies non violentes a toujours eu pour condition de possibilité l’existence d’une aile radicale, laquelle manque aujourd’hui à des organisations telle qu’Extinction Rebellion qui s’en trouvent neutralisées. La question n’est pas de choisir entre violence ou non-violence, mais de distinguer entre différents types de violence – et de savoir quand, comment, y recourir à dessein.

Or lutter contre le réchauffement climatique n’est pas la même chose que combattre un dictateur, une armée d’occupation ou un État ségrégationniste. C’est à l’infrastructure fossile qu’il faut s’attaquer en premier lieu, l’occasion de raviver toute une tradition de sabotage des équipements pétroliers et gaziers – jusqu’à celui récent opéré avec succès par deux militantes catholiques contre un pipeline dans l’Iowa. La consommation est l’autre versant du problème et Malm invite à faire la différence entre les émissions de CO2 « de subsistance » – auxquelles Macron a cru bon de s’attaquer, déclenchant la révolte des Gilets jaunes – et celles « de luxe » des ultra-riches, véritable « étendard idéologique » qui transforme un crime contre la planète et ses habitants en idéal de vie. Là encore le mouvement pour le climat doit savoir identifier ses cibles et intégrer à sa grille politique les rapports de classe et de race. Enfin s’il doit ajouter à son répertoire tactique la destruction matérielle, il lui faut garder à l’esprit les périls d’un extrémisme qui serait contre-productif, du substitionnisme et de la répression étatique. 

Nous n’avons plus le temps d’attendre, tout ce qui n’a pas été tenté doit l’être, et les militant·es pour le climat de demain – potentiellement des millions – doivent apprendre dès maintenant à lutter dans un monde en feu.

Le Journal de Montréal, lundi 2 novembre 2020

Si le gouvernement Legault était à l’écoute de la science climatique, il n’y aurait pas d’audience publique sur le complexe de liquéfaction de gaz naturel Énergie Saguenay. Pas de BAPE sur GNL comme en ce moment.

On aurait déjà dit non. Par respect pour l’avenir de nos enfants.

Alors que toutes les économies du monde sont appelées à sortir de leur dépendance aux énergies fossiles pour respecter les limites planétaires, le Québec envisage un projet qui contribuera à salir sa réputation de producteur d’énergies vertes. On est prêt à détruire un peu plus la planète.

Selon une majorité d’experts et de citoyen.ne.s s’étant exprimés cette semaine devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), GNL Québec contribuera à la destruction de la beauté du monde, pas à sa préservation.

C’était notamment le message porté par les jeunes à travers les interventions de 48 associations étudiantes représentant 300 000 étudiants. Ils exigent l’arrêt immédiat du projet. Ils soulèvent des motifs d’équité intergénérationnelle quant aux vrais coûts (environnementaux, sociaux et économiques) de GNL Québec, qu’ils auront à assumer de manières disproportionnées.

Pas d’acceptabilité sociale

Si le projet GNL Québec se réalise, il contribuera à l’émission d’au moins huit millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) par année, selon les chiffres des promoteurs. C’est l’équivalent de 3,3 millions de voitures supplémentaires sur les routes du pays.

Mais selon des experts indépendants, il faudrait plutôt doubler ce chiffre pour tenir compte de toutes les émissions prévisibles d’un bout à l’autre du cycle de vie du gaz. Particulièrement les émissions fugitives de méthane qui se poursuivent même lorsque les usines sont fermées et les puits scellés.

C’est ce que soutient notamment Marc Durand, docteur et ingénieur en géologie et géotechnique, aussi professeur retraité de l’UQAM. Il estime qu’il faudrait forer au moins 16 000 puits de gaz naturel, essentiellement par fracturation hydraulique, pour alimenter le complexe de liquéfaction GNL actuellement à l’étude. Ceux-ci sont principalement en Alberta.

La construction d’un gazoduc de 780 km serait aussi nécessaire sans parler des impacts de gigantesques méthaniers sur la biodiversité du magnifique fjord du Saguenay.

Bélugas

On s’inquiète particulièrement pour la protection du béluga du Saint-Laurent, une espèce en péril. Selon le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), on sait déjà que le dérangement anthropique comme le bruit sous-marin est une des principales menaces au rétablissement de ce mammifère marin. Doubler le trafic maritime dans son habitat contribuerait au problème. Pas aux solutions.

La patience a ses limites

Si la participation aux audiences publiques sur GNL a franchi de nouveaux records, particulièrement chez les jeunes, cela n’empêche pas l’exaspération des nombreux participant.e.s tous âges confondus.

Comment se fait-il qu’avec toutes les connaissances dont on dispose et toutes les pistes de développement économique écologique et socialement responsable qui existent, nous en soyons encore à envisager des projets dignes d’une économie des temps passés?

Le temps est marqué par l’urgence. On le sait. Les démonstrations scientifiques et les appels à l’action pacifique n’étant pas pris au sérieux, la question des stratégies d’action climatique se pose. Certain.e.s se plongent dans la lecture de Comment saboter un pipeline du Suédois Andreas Malm. Plusieurs sentent le besoin de se radicaliser.

L’avenir est ailleurs

De meilleurs projets économiques existent pour créer des emplois tout en préservant l’environnement. Pensons à l’efficacité énergétique, à la production d’énergies renouvelables, à l’économie circulaire, l’écoforesterie, l’écotourisme, l’agriculture biologique régénératrice, la rénovation et la construction écologiques, etc.

Pensons aussi à des modes de vie et d’organisations sociales qui nous permettront de sortir d’un modèle qui carbure à la surconsommation et au gaspillage. Un modèle aliénant dans lequel nous sommes nombreux à être prisonniers.

Le Saguenay–Lac-Saint-Jean, comme tout le Québec, est un terreau fertile pour une relance juste et verte. Ne nous embarquons pas dans des projets d’infrastructures polluantes qu’on devra rentabiliser pendant des décennies. Ce serait une erreur monumentale.

On sait que pour éviter un emballement climatique, il nous faut diminuer de moitié nos émissions de GES d’ici à 2030 et être carbone neutre d’ici à 2050. Il est temps de s’y mettre!

The science on climate change has been clear for a very long time now. Yet despite decades of appeals, mass street protests, petition campaigns, and peaceful demonstrations, we are still facing a booming fossil fuel industry, rising seas, rising emission levels, and a rising temperature. With the stakes so high, why haven’t we moved beyond peaceful protest?

In this lyrical manifesto, noted climate scholar (and saboteur of SUV tires and coal mines) Andreas Malm makes an impassioned call for the climate movement to escalate its tactics in the face of ecological collapse. We need, he argues, to force fossil fuel extraction to stop–with our actions, with our bodies, and by defusing and destroying its tools. We need, in short, to start blowing up some oil pipelines.

Offering a counter-history of how mass popular change has occurred, from the democratic revolutions overthrowing dictators to the movement against apartheid and for women’s suffrage, Malm argues that the strategic acceptance of property destruction and violence has been the only route for revolutionary change. In a braided narrative that moves from the forests of Germany and the streets of London to the deserts of Iraq, Malm offers us an incisive discussion of the politics and ethics of pacifism and violence, democracy and social change, strategy and tactics, and a movement compelled by both the heart and the mind. Here is how we fight in a world on fire.

Le Monde (site web), le jeudi 25 juin 2020 (réservé aux abonné·es)

 Dans « Comment saboter un pipeline », le chercheur suédois Andreas Malm défend une radicalisation des modes d’action contre le changement climatique.

Face à l’aggravation du réchauffement climatique, tous les moyens sont-ils bons ? C’est en substance la question que pose l’ouvrage du géographe écologiste Andreas Malm, Comment saboter un pipeline. Le chercheur et militant suédois pose le problème par l’absurde : si le changement climatique est une menace aussi importante que ce qu’expliquent depuis des années les climatologues, alors pourquoi le mouvement écologiste se contente-t-il de manifestations et de blocages très ponctuels de grandes avenues londoniennes ? Autrement dit : « Comment cesser d’être à ce point inoffensif ? », interroge Malm.

Contrairement aux précédents livres d’Andréas Malm – Fossil Capital (Verso, 2016) et L’Anthropocène contre l’histoire (La Fabrique, 2017) – Comment saboter un pipeline n’est pas un essai qui détaille l’impact sur la biodiversité ou les activités humaines de l’augmentation continue des températures et des bouleversements suscités par le dérèglement du climat. C’est un manifeste qui tente de bousculer les orientations du mouvement global pour le climat – précisément au moment où la bataille climatique est devenue consensuelle dans les mots.

Que se passera-t-il, fait mine d’interroger l’auteur, si d’ici quelques années, les enfants de la « génération Greta Thunberg » se réveillent en constatant que malgré les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, malgré les COP organisées sur le sujet, malgré les promesses de réduire la dépendance du monde aux énergies fossiles, nous en sommes toujours au même endroit ?

Les risques de la radicalité pour le mouvement climat

L’hypothèse ne semble pas farfelue : malgré la multiplication des engagements des États, la hausse continue des émissions de CO2 se poursuit. Seules des mesures de confinement mondiales extrêmement radicales ont permis de les faire baisser, et ce de manière très temporaire. Un chiffre suffit à le constater : en trente ans, malgré les efforts réalisés, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial est toujours peu ou prou la même…

Puisque la diplomatie climatique et les manifestations massives de la jeunesse – pas plus que les discours enflammés de Greta Thunberg à la tribune de l’ONU – ne parviennent à faire infléchir la marche fossile du monde, que peuvent faire les écologistes ? Andreas Malm fait mine de s’interroger sur les bénéfices et les risques de la radicalité et de l’usage de la violence pour le mouvement climat.

Revenant aux racines des mobilisations contre l’esclavage, contre la colonisation, contre l’apartheid en Afrique du Sud, il décrypte comment ces mouvements ont manié, parfois à leur corps défendant, des tactiques de confrontation directe avec le pouvoir avec des stratégies pacifistes. « On devrait alors dire () : la lutte contre les combustibles fossiles est d’une tout autre nature et elle ne triomphera que par des moyens absolument pacifiques. () Mais y a-t-il des raisons convaincantes de tenir une telle position ? » demande Andréas Malm, qui cite en exemple les deux militantes catholiques qui ont cherché à détruire des engins de chantier participant à la construction d’un pipeline dans le Dakota du Nord – toutes deux se sont dénoncées et purgent des peines de prison aux États-Unis.

Les « émissions de luxe »

A cette réflexion sur les modes d’action, Malm ajoute une lecture des inégalités face au danger climatique. Il distingue les « émissions de luxe », celles qui seraient les plus facilement évitables, et les émissions dues à l’accès à l’énergie dans les pays en développement. Et de donner en exemple celles causées par les SUV, nouveaux chouchous de l’industrie automobile.

De fait, selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ces véhicules gourmands en pétrole représentent le deuxième facteur de croissance des émissions de CO2 dans le monde depuis 2010 – derrière le développement du charbon. Malm note ici une accélération de l’histoire. Au début du XXe siècle, les émissions réalisées par les habitants les plus fortunés de la planète avaient peu d’impact immédiat, compte tenu de la faible concentration de CO2 dans l’atmosphère.

Il en va tout autrement aujourd’hui : contribuer au réchauffement pour des raisons de luxe ou de plaisir personnel a des conséquences directes, en provoquant des sécheresses ou des ouragans, qui touchent plus durement les plus défavorisés.

S’attaquer aux biens de consommation les plus néfastes

« Les émissions de luxe sont l’équivalent de projectiles balancés dans les airs qui retombent au hasard sur les pauvres. Les riches pouvaient plaider l’ignorance en 1913. Plus maintenant. », prévient l’auteur. Il note par ailleurs le risque à vouloir imposer des limites aux plus pauvres, tout en ne s’attaquant pas aux « émissions de luxe » – évoquant notamment le début du mouvement des « gilets jaunes » en France.

Croisant ces deux axes de réflexion, Malm moque – avec une certaine dose de mauvaise foi – les tactiques de désobéissance « gandhiennes » d’Extinction Rebellion en Grande-Bretagne ou du mouvement pour la justice climatique aux Etats-Unis. Il raille ces militants blancs de bonne famille qui bloquent dans le métro de Londres des travailleurs noirs ou indiens de classes populaires, sans que cela n’empêche le monde des énergies fossiles de tourner.

L’auteur, empreint d’un certain romantisme révolutionnaire, ne cache pas sa préférence stratégique : pour lui, le mouvement pour le climat devrait s’attaquer directement aux biens de consommation les plus néfastes en termes d’émissions. Il rêve d’actions nocturnes pour dégonfler les pneus des SUV en ville, qui accompagne des mobilisations plus massives. Et veut forcer le mouvement écologiste à se poser des questions plus radicales : « Le problème, bien sûr, c’est que faire sauter un pipeline dans un monde à six degrés de plus, ce serait agir un peu tard. Doit-on attendre un assentiment quasi général ? Celui de la majorité ? D’une importante minorité ? »

Comment saboter un pipeline, de Andréas Malm. Traduit de l’anglais par Etienne Dobenesque, éd. La Fabrique, 216 pages, 14 euros.

Par Fabien Benoit dans Usbek & Rica, le 18 juin 2020

Dans Comment saboter un pipeline, le militant écologiste et universitaire suédois Andreas Malm défend le recours à l’action directe et au sabotage. Pour lui, les marches pour le climat ne réussiront rien sans recourir en parallèle à des méthodes plus radicales.

Andreas Malm est un militant de longue date. Dès 1995, il participe aux premières manifestations pour le climat, lors de COP1 de Berlin. Après s’être intéressé pendant plusieurs années au Moyen-Orient, il renoue avec l’écologie et organise plusieurs marches pour le climat entre 2006 et 2009, avant de poursuivre son engagement dans le champ universitaire. Il est aujourd’hui maître de conférences en géographie humaine à l’université de Lund, en Suède, mais continue de participer à de nombreuses mobilisations.

Après avoir publié plusieurs ouvrages dont L’anthropocène contre l’histoire (La Fabrique, 2017), il interroge aujourd’hui les limites du pacifisme dans les mouvements de lutte contre le réchauffement climatique, qu’il s’agisse justement des marches pour le climat ou du mouvement Extinction Rebellion (XR) qui, en France, avait occupé la place du Châtelet à Paris pour dénoncer l’inaction des gouvernements face aux périls environnementaux.

Dans Comment saboter un pipelineson nouvel essai, Andreas Malm revient sur l’histoire de plusieurs luttes sociales « victorieuses », de l’abolition de l’esclavage aux printemps arabes, en passant par le mouvement des suffragettes en Angleterre ou le combat contre l’apartheid en Afrique du Sud. Il rappelle que ces mouvements, présentés comme non violents, furent tous accompagnés – et donc aidés – par des actions plus radicales, qui ont contribué à leur succès. Pour lui, la mobilisation mondiale pour lutter contre le réchauffement climatique doit emprunter cette voie, sans quoi elle demeurera impuissante.

Usbek & Rica : Votre livre s’ouvre sur le constat d’échec des mobilisations pour le climat, et ce en dépit d’une adhésion forte aux enjeux climatiques, illustrée notamment par les marches pour le climat et la visibilité récente d’un mouvement comme Extinction Rebellion. Comment l’expliquez-vous ?

Andreas Malm : Le sentiment le plus partagé au sein du mouvement pour le climat, et chez ses alliés, c’est la frustration. C’est un sentiment qu’a pu exprimer à plusieurs reprises mon amie Greta Thunberg dans ses prises de parole. Une immense frustration face à l’absence totale de réaction des gouvernements et d’actions significatives pour réduire les émissions de CO2. Tout cela mis en regard des plaidoyers, tribunes, appels et pétitions, et du travail des scientifiques qui ne cessent de nous répéter que nous sommes sur la voie du pire scénario possible en termes de réchauffement et de désordres climatiques.

La frustration ne cesse de monter. Alors naturellement, avec le Covid-19, le mouvement pour le climat s’est arrêté net, mais avant l’arrivée du virus il était en pleine expansion et de grandes grèves et manifestations étaient prévues au printemps. En 2020, le mouvement aurait sans doute faite descendre encore plus de gens dans les rues que les années précédentes. Mais l’arrivée de la pandémie, de manière évidente, a été désastreuse : toutes les tentatives pour remplacer les actions de terrain par des manifestations en ligne – le fait de poster des photos sur Instagram et de dire « Je suis en grève » – sont complètement dérisoires.

Il faut interrompre le « business as usual », le parasiter. Or il n’y a aucune chance de faire ça en ligne, en restant chez soi, assis devant son ordinateur. Sauf à se livrer à du hacking, mais je ne crois pas en cette façon de faire. Tout a changé entre 2019 et 2020, et il est difficile de savoir si le mouvement pour le climat va pouvoir rebondir. Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est que ce sentiment de frustration va perdurer. Si je suis favorable aux manifestations et aux grèves, je pense qu’elles ne parviendront pas, à elles seules, à atteindre les objectifs partagés par les militants pour le climat. Je pense qu’il doit exister une forme d’action plus radicale, incluant la destruction de biens et d’infrastructures, et le sabotage.

Vous militez sur la question du climat depuis de nombreuses années déjà. Quelles évolutions avez-vous pu observer en termes de pratiques depuis 1995 et la toute première COP ?

Jusqu’en 2009 et la COP15, le mouvement pour le climat était focalisé sur les négocations pour le climat des Nations Unies et organisait des manifestations, des conférences alternatives pendant le déroulement des COP, pour les influencer. Mais les conclusions de la COP15 ont été tellement pauvres, elles ont provoqué une telle désillusion quant au processus même de la COP, que le mouvement s’est détourné de ces négociations pour viser plus directement les infrastructures fossiles et leur développement.

Cette voie a été ouverte aux États-Unis et au Canada, notamment avec l’opposition au projet de pipeline Keystone XL. En Europe, en Allemagne en particulier, on a vu apparaître des climate camps, des camps de protestation temporaires, sans doute la forme la plus avancée de mouvement de lutte contre le réchauffement climatique. Ces camps pour le climat se multipliés et ont grossi un peu plus chaque année. Après la canicule de l’été 2018, ils ont été renforcés par d’autres mobilisations de grande échelle, les Fridays for the future et le mouvement Extinction Rebellion. Le mouvement s’est diversifié, sa base s’est élargie. C’est devenu un mouvement de masse.

Vous expliquez que nous ne pouvons pas faire reposer tous nos espoirs de changement sur ces mouvements citoyens. Qu’en est-il des partis politiques, et en particulier les partis écologistes ?

En Suède, nous avons un bel exemple puisque Les Verts participent au gouvernement, le vice-premier ministre est le leader du Parti écologiste. Cela fait six ans qu’ils font partie de cette coalition gouvernementale, et pendant cette période les émissions ont augmenté. Alors qu’elle déclinaient sous le précédent gouvernement de droite… Les écologistes en Suède n’ont absolument pas respecté leur promesse d’accélérer la transition vers des énergies renouvelables. Je ne fais donc pas confiance aux Partis écologistes pour parvenir à atteindre cet objectif, ce sont des libéraux teintés de vert. On peut faire le même constat concernant d’autres pays, l’Autriche par exemple, où les écologistes font également partie d’une coalition gouvernementale.

Dans votre ouvrage, vous évoquez longuement le mouvement Extinction Rebellion, né en 2018 en Grande-Bretagne. Vous pointez le fait que le pacifisme dont il se réclame est devenu une sorte de fétiche, de dogme, dans les mouvements pour le climat. D’où vient cette culture pacifiste ? Et en quoi serait-elle, comme vous l’avancez, contre-productive ?

Ce dogme du pacifisme a émergé des mouvements américains et britanniques, de la pensée de Bill Mckibben, qui a joué un rôle essentiel, et de quelques autres intellectuels. Les mouvements sociaux américains ont une tradition de pacifisme. Extinction Rebellion se situe aussi dans cette culture anglo-saxonne. Si ces mouvements avaient pris racine en France, leur nature aurait été toute autre. En Allemagne, où le mouvement est le plus fort en Europe, Ende Gelände a toujours été plus ou moins non-violent, en tout cas il ne s’est jamais battu contre les policiers, pour des raisons tactiques, dans l’objectif de susciter des ralliements, de l’adhésion. Mais chez les mouvements américains et britanniques, il y a une vision mois stratégique et beaucoup plus dogmatique, doctrinaire, du pacifisme, et c’est cette vision qui domine au niveau international. Ces positions ont aussi sans doute à avoir avec les leçons qui ont été tirées des expériences de mouvements comme Earth Liberation Front et Earth First ! dans les années 1980 et 1990, qui avaient opté pour des actions plus violentes, plus directes, et qui se sont révélés des échecs.

Vous écrivez que l’histoire des mouvements sociaux contredit l’efficacité du pacifisme, qu’il doit nécessairement s’accompagner d’actions plus directes, plus violentes, comme en témoignent le mouvement des suffragettes en Angleterre, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, ou encore le mouvement des droits civiques aux États-Unis. En somme, il faudrait à la fois un mouvement de masse pacifique et une frange plus radicale qui n’hésite pas, elle, à saboter. Comment le sabotage peut-il ne pas être contre-productif ?

Le sabotage peut permettre, de manière directe, de mettre hors service des sources d’émission de CO2. Donc s’il y a bien une raison qui peut justifier la sabotage, c’est la cause environnementale et les périls que le réchauffement climatique fait peser sur nous tous. Jusqu’alors le sabotage permettait d’exercer une pression politique indirecte. En Afrique du Sud, par exemple, l’ANC détruisait des installations pétrolières pour frapper le régime d’apartheid, même si le parti n’avait rien contre le pétrole en particulier.

Aujourd’hui, le sabotage peut viser directement des sources d’émission de CO2 qui tuent des gens et détruisent cette planète. Ce genre de sabotage me semble tout à fait légitime, d’un point de vue moral. Je ne vois pas comment on peut défendre l’intégrité physique de machines qui, objectivement, sont en train de détruire la planète. En fait, le vrai paradoxe, la vraie question, c’est bien de savoir pourquoi cela ne s’est pas encore produit, à grande échelle. Mon avis, c’est que plus nous nous enfoncerons dans la crise climatique, plus les désordres seront nombreux, et plus il deviendra urgent de faire ce que les gouvernements refusent de faire : bloquer des émissions. Je crois que nous allons voir ce type d’actions se multiplier très rapidement, même s’il est difficile de savoir quelle sera l’étincelle qui invitera à passer ce cap. Elle sera certainement liée à une nouvelle catastrophe climatique.

Pour vous, il est nécessaire de passer ce cap du sabotage mais il est nécessaire aussi de changer de discours et, comme vous l’écrivez, de savoir « nommer ses ennemis ». Qui sont-ils ?

Un des problèmes avec Extinction Rebellion est sa tendance à avoir une sorte de discours dépolitisé sur le climat en disant que la lutte pour l’environnement est dans l’intérêt de tous, que le mouvement est ouvert aux gens de droite, aux policiers, à ceux qui défendent la propriété privée. Je pense que cette position doit être abandonnée, elle ne mène nulle part. Le combat pour la justice climatique et pour stopper les émissions est un combat contre les classes dominantes, les intérêts du « business as usual ». Si vous essayez d’échapper à cet antagonisme, vous ne gagnerez jamais car, par définition, vous n’aurez même pas engagé le combat contre l’ennemi. Il faut transcender cet aveuglement politique.

Extinction Rebellion a été un grand accélérateur dans la mesure où ce mouvement a drainé beaucoup de monde vers la cause climatique, il a fait descendre beaucoup de gens dans la rue. Mais il fait aussi fait diversion quant à l’objectif d’attaquer les industries fossiles, de les viser directement, frontalement, comme dans le cas du pipeline Keystone XL. Il faut cibler ces industries là où elles sont, physiquement. Une des demandes à afficher clairement serait de nationaliser ces grandes entreprises – Total par exemple -, qu’elles deviennent publiques et qu’on les contraignent à abandonner les énergies fossiles. La priorité stratégique pour les années à venir devrait être celle-là : se focaliser sur les producteurs d’énergies fossiles, leurs infrastructures et leurs sources de financement. Les attaquer au portefeuille, faire en sorte qu’elles s’inquiètent pour leur argent, leur imposer des pertes économiques en détruisant et en sabotant.

Vous évoquez dans votre livre votre expérience en tant que « dégonfleur » de pneus de véhicules SUV. Vous écrivez que si l’ensemble de la flotte SUV mondiale pouvait être comparée à un pays, elle serait le 8e pays au monde le plus émetteur de gaz à effet de serre. En quoi s’attaquer à des SUV peut-il convaincre leurs propriétaires d’y renoncer ou dissuader des clients potentiels d’en faire l’acquisition ?

Nous ne devons pas viser les gens mais les marchandises et les machines – comme les SUV, les jets privés, les yachts et les bateaux de croisière – c’est différent. Ils représentent des émissions liées au luxe, les plus superflues qui puissent exister. Alors oui, on peut les cibler et les mettre hors d’état de fonctionner.

Qui acceptera de franchir le pas, de se livrer à des actes de sabotage ? On peut supposer que ce ne seront pas forcément les mêmes individus que l’on retrouve lors des marches pour le Climat ou des actions d’Extinction Rebellion ?

J’ai discuté en mars dernier avec des militants du mouvement Youth for Climate, qui ont été très actifs dans l’organisation de grandes marches et des Fridays for the Future. Ils me disaient qu’ils entendaient poursuivre sur cette voie mais ils sont aussi sortis frustrés et radicalisés par ces expériences, très stimulés par la perspective d’explorer d’autres types d’actions, et notamment le sabotage. Certains avaient lu les écrits de Deep Green Resistance, ce mouvement américain qui plaide pour la destruction de la civilisation et invite carrément à l’assassinat…

Je ne souscris pas à ces idées dangereuses. Toutefois, je pense que les plus jeunes, qui appartiennent aux franges les plus radicales des marches pour le climat, peuvent franchir le cap du sabotage si les gouvernements continuent de ne rien faire. Ils seront de plus en plus désillusionnés face à cette inaction et à la multiplication des catastrophes dans le monde. À terme, il y aura une sorte de division du travail dans le mouvement pour le climat : certains continueront à faire des marches pacifiques et organiser des évènements rassembleurs, et d’autres investiront des actions plus directes.

Dans Contretemps. Revue de critique communiste, le 19 juin 2020.

Dans son dernier livre Comment saboter un pipeline, Andreas Malm remet en question la non-violence – et son corollaire, le respect de la propriété privée – qui semblent enchaînés au mouvement pour le climat :

« La non-violence absolue sera-t-elle le seul moyen, restera-t-elle à jamais l’unique tactique admissible dans la lutte pour l’abolition des combustibles fossiles ? » (p. 31).

En s’appuyant sur divers exemples de combats politiques – des luttes des esclaves noirs aux États-Unis à celles contre l’apartheid en Afrique du Sud, en passant par les suffragettes, dont la « tactique de prédilection était la destruction de biens » (p. 51) – Malm insiste sur le fait que la non-violence ne saurait constituer la seule tactique pour mettre fin au business-as-usual qui se trouve au cœur du réchauffement climatique.

Loin d’une vision de principe – pour ou contre l’utilisation de la violence dans le militantisme – il s’interroge sur l’efficacité de la non-violence dès lors qu’il s’agit de freiner, voire d’arrêter, les émissions des infrastructures fossiles. En effet, si le réchauffement climatique est intimement lié au développement du capitalisme – et notamment au passage de l’eau à la vapeur dans l’industrie du coton britannique au XIXe siècle qui, comme Malm l’explique dans Fossil Capital (Verso, 2016) permettait un meilleur contrôle de la force de travail –, s’attaquer frontalement aux racines du problème implique de s’en prendre aux infrastructures.

Andreas Malm s’intéresse ainsi au sabotage. Le sabotage – notamment sous la forme de la destruction de pipelines –, s’il a pu être utilisé par la résistance irakienne (pour protester contre l’occupation états-unienne) en 2005, ou encore lors des grèves et soulèvements de 1936 en Palestine, n’a jamais été au cœur du mouvement pour le climat. Alors qu’on a vu, ces dernières années, une explosion des actes violents commis par l’extrême-droite en Europe, Malm constate que le mouvement pour le climat reste relativement « sage » dès lors qu’il s’agit de s’en prendre aux causes directes du problème :

Les destructions de biens sont possibles – elles sont juste commises par les mauvaises personnes pour de très mauvaises raisons. Mais elles ne doivent pas nécessairement prendre la forme d’explosions, de jets de projectiles ou d’accès pyromanes ; elles ne présupposent pas les capacités militaires du FPLP, du MEND ou des houtis. Elles peuvent être réalisées sans une colonne de fumée. C’est d’ailleurs préférable. Le sabotage peut se pratiquer doucement, délicatement même. (p. 99)

Le livre d’Andreas Malm constitue une ressource précieuse pour (ré)ouvrir le débat tactique autour de la lutte contre le réchauffement climatique, ainsi que son ancrage dans une lutte anticapitaliste plus large, afin de « combattre le désespoir » et le « fatalisme climatique » (p. 169). Dans l’entretien ci-dessous mené pour Contretemps, il revient sur certains points clés de son livre.

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Contretemps : Dans un chapitre de l’Anthropocène contre l’histoire (La Fabrique, 2017), vous écrivez que ceux qui s’appuient sur l’héritage révolutionnaire devraient mettre leur imagination au travail – et que le changement climatique est profondément lié à la révolution. Pensez-vous qu’aujourd’hui le mouvement pour le climat se revendique comme étant révolutionnaire ? Et de quelle manière ?

Andreas Malm : On trouve beaucoup de rhétoriques qui sonnent révolutionnaires dans le mouvement, comme dans « Changer de système, pas de climat », « business-as-usual = mort », « brûlons le capitalisme pas le pétrole » et d’autres slogans similaires. Cela témoigne d’une conscience de l’échelle du défi ainsi que de la nature de l’ennemi. Mais le mouvement pour le climat a-t-il une stratégie révolutionnaire ? A-t-il une praxis, une organisation, une théorie, un sujet… révolutionnaires ? Si l’on compare avec d’autres mouvements révolutionnaires au cours du siècle ou des deux derniers siècles passés, la réponse à ces questions s’avérerait probablement négative.

Le dilemme du mouvement pour le climat est qu’il se fixe une tâche objectivement révolutionnaire – renverser le capital fossile, du moins, au minimum, séparer le capitalisme de la forme d’énergie qui lui a servi de substrat matériel universel depuis le début du XIXe siècle – à une époque où la politique révolutionnaire est passée de mode. Ces temps-ci, nous ne manquons pas d’éruptions de protestations populaires (j’écris ces lignes alors que la rébellion suite à la mort de George Floyd entame sa deuxième semaine). Mais nous n’avons pas les instruments permettant de traduire des foyers spontanés de contestations de masse en stratégies pour prendre le pouvoir, ni même seulement pour forcer les structures de pouvoir existantes à céder aux revendications essentielles de réformes.

Ces dernières années, nous avons vu les vagues de mobilisation s’écraser les unes après les autres contre les murs immuables de l’ordre existant, avec peu voire pas d’effet concret. Je crains que la vague de mobilisations pour le climat que nous avons connu en 2019 n’échoue dans cette catégorie. Il semble que ce mouvement et ses alliés aient besoin de revenir à la case départ et d’inventer – ou de réinventer – des stratégies pour démolir les murs et exercer un réel pouvoir. Comment saboter un pipeline constitue une modeste contribution à un débat, au sein du mouvement pour le climat, sur la manière de faire cela à très court terme : comment intensifier la lutte en déployant des tactiques allant au-delà des principes absolutistes du pacifisme.

Dans la conclusion d’un autre de vos livres, The Progress of This Storm (Verso, 2018), vous rappelez une formule de Walter Benjamin, selon laquelle « le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle ». Dans quelle mesure la lutte contre le désastre environnemental est-elle aussi une lutte contre le capitalisme ?

Il ne s’agit que du capitalisme ! C’est le capitalisme qui a engendré la combustion de carburant fossile à grande échelle et qui accroît encore celle-ci à ce jour (l’économie staliniste fondée sur les carburants fossiles a été une parenthèse, recouvrant un intérêt historique considérable, mais sans importance immédiate à l’heure actuelle).

Prenons juste ce cas : Total est la plus grande société en France. Elle se vante d’être la quatrième plus grande compagnie de pétrole et de gaz au monde. À ce titre, elle doit être liquidée. Total et ses comparses entreprises de combustibles fossiles attisent sciemment les flammes qui consument notre planète, parce que c’est ainsi qu’elles réalisent des profits et, comme tout le monde le sait, toute atténuation significative du changement climatique, par définition, implique que ces entreprises cessent d’extraire des combustibles fossiles – quelque chose qui aurait dû arriver il y a des décennies de cela.

Une compagnie comme Total doit maintenant être nationalisée et contrainte de fermer chacun de ses puits de pétrole et de gaz aujourd’hui même, sans délai. À mon sens, elle devrait être convertie en société publique qui, à la place, s’emploierait à faire diminuer le taux de CO2 présent dans l’air et à nettoyer l’atmosphère de l’excès de gaz qu’elle et les autres sociétés dans son genre ont produit. Le capitalisme français survivrait-il à une telle mesure ? C’est possible, mais même l’action la plus élémentaire concernant l’urgence climatique implique une confrontation avec les intérêts de classe capitalistes qui occupent une position centrale. Où un tel processus prend-il fin, personne ne sait.

Je dois dire que je suis surpris qu’il n’y ait pas, en France, de mouvement climatique qui se concentre sur Total, de la même manière que l’Allemagne en a un qui cible ses compagnies de charbon nationales. D’une telle mobilisation devrait émerger un potentiel anticapitaliste, dans la lignée des revendications transitoires, comme on les appelait… 

Dans votre nouveau livre Comment saboter un pipeline, vous abordez les formes de luttes pour l’environnement. Vous comparez celle contre le désastre environnemental à d’autres luttes (anticoloniales, contre l’apartheid en Afrique du Sud, celles des Suffragettes, etc.) afin de souligner une différence majeure : le rapport qu’entretiennent ces luttes à la violence. Est-ce qu’il y a une explication structurelle au fait que les militants écologistes soient souvent réfractaires à l’usage de méthodes violentes – principalement contre les infrastructures ?

Oui. Le mouvement pour le climat dans le Nord global s’est largement appuyé sur des étudiant·es et activistes de la classe moyenne, qui se sont déshabitués des tactiques militantes, de l’organisation disciplinée et de l’élaboration intentionnelle de stratégies. Les liens avec l’héritage de 1968, qui ont perduré jusqu’à la fin des années 1980, ont été coupés. À la place nous avons, particulièrement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, un pacifisme pieux, presque apolitique, qui règne en maître au sein du mouvement pour le climat.

Je considère cela comme une forme de régression de la conscience, en comparaison avec le point atteint avec, par exemple, le mouvement contre l’apartheid et les diverses campagnes de solidarité avec ce que l’on appelait Tiers-monde, dans les années 1980. Cette tendance s’inscrit bien sûr dans un recul général qui va bien plus loin que les campus et les écoles dans lesquels le mouvement pour le climat recrute aujourd’hui. Cela ne peut pas être séparé de la conjoncture politique prise dans son ensemble.

Vous ne pensez pas qu’en ayant recours à la violence, le mouvement contre le changement climatique perdrait en popularité et prendrait le risque de se marginaliser ? Dans le livre, vous écrivez qu’en utilisant les tactiques du Black bloc, le mouvement n’aurait pas été si attractif. Pensez-vous qu’il y ait une chance pour que le mouvement puisse être à la fois attirant et moins « gentil » ? Comment le sabotage pourrait-il constituer une tactique efficace dans la lutte contre le changement climatique ?

Tout usage de n’importe quel type de violence comporte des risques. L’un d’entre eux est de perdre une partie du soutien populaire – si cette violence est sans discernement, indéfendable, brutale envers les gens, difficile à justifier. D’un autre côté, il existe des formes de violence – contre certains types de biens – qui peuvent servir à radicaliser et à catalyser les mobilisations populaires.

La révolte en cours en réaction à la mort de George Floyd en est un exemple remarquable. Nonobstant tous les appels méthodiques à la non-violence, il est évident que cette révolte a vraiment démarré lorsque les foules de Minneapolis ont envahi le poste de police de la troisième circonscription, l’ont pris et détruit. Cela n’a pas dissuadé l’organisation d’autres manifestations – au contraire même, elles en ont été accélérées et propagées, et cela, dans le pays qui présente la pire allergie chronique à toute flambée de violences dans l’agitation sociale.

L’injustice meurtrière de l’exécution de George Floyd a clairement justifié un certain degré de violence contre des biens aux yeux de beaucoup, tandis que nombre d’autres, bien sûr, ont préféré la stricte non-violence – en d’autres termes, cette révolte connaît une diversité de tactiques, ce qui en fait un événement historique. S’il n’y avait eu que des marches et des veillées parfaitement paisibles, la mort de George Floyd ne serait pas devenue un moment décisif, pas plus que la question de la brutalité policière ne se serait hissée au sommet de l’agenda politique – au-dessus du Covid-19, pour la première fois depuis le début de l’épidémie.

Il y a un enseignement à tirer de cela. Le mouvement pour le climat atteindra la même charge explosive quand il parviendra à déclencher un soulèvement populaire du même type que celui que nous avons vu aux États-Unis au cours de la dernière semaine. Quel pourrait être l’équivalent de la police étouffant un homme noir à mort ? Peut-être la prochaine catastrophe climatique, qui pourrait bien tuer principalement des personnes de couleur, que ce soit à la Nouvelle Orléans ou en Afrique de l’est (le Zetkin Collective et moi-même défendons largement l’idée que la crise climatique est une crise raciste dans notre livre White Skin, Black Fuel : On the Danger of Fossil Fascism, à paraître à La Fabrique en octobre et chez Verso au début de l’année prochaine).

Quand le monde est en feu, la réceptivité populaire à la destruction des biens qui causent l’incendie augmente. Imaginez si quelqu’un – un groupe organisant un sabotage ou une manifestation de masse – avait réagi à l’enfer des feux de forêt en Australie qui ont eu lieu plus tôt cette année, en attaquant une infrastructure liée au charbon. Non seulement cela aurait parfaitement fait sens, mais cela aurait aussi envoyé le signal qui manque dans ces moments d’urgence (et il y en aura beaucoup d’autres) : nous sommes conduits aux désastres. Il faut neutraliser ce qui nous y conduit ou, un jour ou l’autre, nous finirons carbonisés. Si les États ne peuvent pas se résoudre à faire le nécessaire, il nous faut le faire pour eux.

Comment le mouvement pour le climat peut-il s’appuyer sur les luttes du Sud global ? Dans votre livre, vous expliquez que la lutte palestinienne pourrait être considérée comme pionnière dans la destruction de pipelines – en particulier les sabotages qui ont été menés au cours de la grève générale de 1936. Vous prenez également des exemples en Égypte, au Yémen…

Non seulement les dommages causés à court terme par la crise climatique sont concentrés dans le Sud global, mais c’est le Sud global qui a la plus longue tradition de sabotage contre les infrastructures pétrolières – non pas parce que les Palestiniens au milieu des années 1930 ou au début des années 1970, ou encore les Égyptiens en 2011, étaient au courant et s’inquiétaient du changement climatique, mais parce que les infrastructures pétrolières avaient été imposées et maintenues en place par l’ennemi impérialiste.

Il y a eu de nouveau une période, entre 1968 et la fin des années 1980, où les militants radicaux des métropoles ont dévoué leur travail politique au Sud global – ou au « Tiers-monde », comme on l’appelait alors – et ont appris des tactiques qui y étaient utilisées. Avec le déclin des mouvements de libération, cette tradition s’est éteinte. Mais il y a de nouveaux cas de sabotages, de la révolution égyptienne à l’attaque des houthis contre la raffinerie d’Abqaïq, sans compter les Naxalites ou le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND), dont nous pourrions apprendre.

Le mouvement pour le climat va inévitablement produire des ailes radicalisées dans un futur proche (à moins qu’il ne se dissolve dans le désespoir général), puisque les choses ne vont faire qu’empirer. De telles ailes devraient s’orienter vers le Sud global, à la fois du fait que c’est là que l’injustice climatique est la plus forte, mais aussi parce que les tactiques de sabotage y sont toujours actives, du moins de temps à autre. 

Dans quelle mesure la destruction constitue-t-elle un outil intéressant pour combattre la crise climatique ? Est-ce qu’elle peut s’avérer utile dans la situation présente ou bien est-il trop tard pour utiliser ce type de tactique ? Vous vous montrez très critique envers des personnes qui se montrent fatalistes, comme Roy Scranton. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Scranton et d’autres fatalistes tels que lui réprouvent l’activisme pour le climat. Ils ont non seulement baissé les bras, mais ils s’opposent activement à la mobilisation sur cette question, qu’ils considèrent comme une perte de temps. Je suis évidemment en désaccord avec cela et je soutiens la thèse opposée : plus les choses empirent, plus notre lutte doit se radicaliser.

Entretien réalisé par Selim Nadi et traduit par Sophie Coudray. 

Par Pauline Hachette dans En attendant Nadeau, le 13 octobre 2020

À l’heure où beaucoup se penchent sur les raisons d’une recrudescence des violences dans la contestation sociale, le géographe Andreas Malm s’interroge au contraire sur son absence dans la lutte écologiste, y voyant une illustration du déficit général d’action face à la crise climatique. Et de son aberration.


Andreas Malm, Comment saboter un pipeline. Trad. de l’anglais par Étienne Dobenesque. La Fabrique/Les Éditions de la rue Dorion, 216 p., 14 €

Andreas Malm, La chauve-souris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique. Trad. de l’anglais par Étienne Dobenesque. La Fabrique, 248 p., 15 €


Comment saboter un pipeline d’Andreas Malm s’ouvre sur la COP 1 de 1995. Les campements de solution durable et les actions militantes se déploient parallèlement à la grande réunion institutionnelle. Manifestants déguisés en animaux, conférences sur les pays les plus immédiatement menacés par le réchauffement climatique, cantines vegan, les militants développent un large éventail d’actions pour alarmer et pour montrer d’autres modes de vie possibles. Tout ce que l’on peut attendre rationnellement y est mis en œuvre : de l’information, de la sensibilisation, de l’espoir.

Ces modalités d’action se sont poursuivies depuis, et leur répertoire s’est accru avec la créativité que l’on connaît : occupations et blocages, sit-indie-injail-in, grève scolaire. Toutes « impeccablement pacifiques ». Toutes avec l’espoir d’éveiller les consciences pour enrayer le business-as-usual, cette formule qui revient si souvent sous la plume d’Andreas Malm, telle la berceuse de la poursuite de l’ordinaire et de son confortable « comme-si-de-rien-n’était ».

Vingt-cinq ans après la COP 1, le constat est pourtant désespérant. Même focalisé sur la seule question de l’exploitation des énergies fossiles, il atteste d’une indifférence effrayante à toutes les sonnettes d’alarme tirées depuis des décennies. On pourra se reporter au précédent essai d’Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire (La Fabrique, 2017), pour suivre ses analyses marxistes sur ce qu’il nomme le capital fossile et sa place dans la crise climatique. Il se contente ici de brosser en quelques pages un tableau sans équivoque sur l’écart croissant entre les objectifs affichés de réduction des émissions de CO2 et la dynamique des investissements dans les énergies fossiles : 49 % des structures d’exploitation actuelles ont été mises en service après 2004. On annonçait en 2019 une augmentation de 18 % pour la seule prospection de gisements. Shell prévoit d’augmenter sa production de 35 % d’ici à 2030. Exxon, de 38 %.

Quant à ce qui pourrait constituer l’indicateur-d’aberration-SUV, il est tout aussi parlant. Les ventes de ces véhicules de luxe, nés juste après les premières COP et devenus le deuxième facteur d’augmentation mondiale des émissions de CO2 depuis 2010 (après le secteur de l’énergie mais avant l’aviation), sont passées pour la seule Europe de 7 % du marché en 2009 à 36 % en 2018. Le désinvestissement est loin, de toute évidence. L’auteur ajoute à ces chiffres une synthèse, efficace dans sa sobriété même, rappelant combien les effets du réchauffement climatique dépassent en rapidité et en étendue des prévisions qui, peinant à prendre en compte le feedback positif (dégel du pergélisol, feux de forêt libérant du carbone supplémentaire), sont sans cesse en retard sur les effets constatables du réchauffement climatique.

La chauve-souris et le capital, l’essai le plus récent d’Andreas Malm, écrit au printemps dernier, témoigne d’un pessimisme accru quant à la volonté d’action des États des pays capitalistes avancés. Avant de développer une analyse sur la responsabilité du capital dans la crise sanitaire, il s’ouvre sur l’éclatante opposition entre la capacité inédite des États à suspendre brutalement le business-as-usual pour endiguer la pandémie et leur inertie face à la crise climatique. Andreas Malm y voit surtout une application de la banale loi de proximité, la pandémie ayant touché le Nord avant le Sud et ayant renvoyé au premier l’image inenvisageable d’une saturation totale et instantanée de ses services hospitaliers. L’urgence chronique d’un dérèglement climatique, qu’il compare assez justement à un glissement de terrain, permet encore à l’orchestre de continuer de jouer sur la crête.

Cet entêtement politico-économique et le sentiment d’impuissance auquel il renvoie citoyens et militants engagés dans cette lutte soulèvent inévitablement la question de leurs moyens d’action. La force de Comment saboter un pipeline est de s’ancrer dans un étonnement, que l’on pourrait qualifier de naïf si l’on avait une vraie réponse à lui apporter : pourquoi restons-nous si sages face au phénomène sans précédent, en termes d’étendue et de conséquences, que représente le réchauffement climatique ? Et, plus précisément, « quand commencerons-nous à nous en prendre physiquement aux choses qui consument cette planète et à les détruire de nos propres mains ? Y a-t-il une bonne raison d’avoir attendu si longtemps ? ». Andreas Malm nomme cette forme d’inaction « l’énigme de Lanchester », du nom d’un essayiste qui se demandait, déjà en 2007, comment expliquer que certaines actions aussi simples, et probablement dissuasives pour l’achat et la production, qu’un vandalisme d’ampleur contre les SUV ne soient pas menées dans le cadre de la lutte pour le climat.

Si l’on excepte quelques cas où des affrontements avec les forces de l’ordre et des destructions ont eu lieu – Andreas Malm, qui cite Notre-Dame-des-Landes ou le sabotage du pipeline Dakota Access, en oublie un certain nombre – le mouvement contre le réchauffement climatique est, il est vrai, globalement non violent, y compris contre les seuls dispositifs matériels. Le sabotage d’exploitations pétrolières est pourtant fréquent dans le cadre de mouvements insurrectionnels. Ce ne sont donc pas les difficultés techniques ni les seules conséquences redoutées, sur les populations comme en termes de répression, qui empêchent qu’elles soient attaquées pour leur rôle dans le réchauffement climatique.

Face à ce constat, Andreas Malm ne cherche pas à sonder les différents freins à l’action. Il se donne pour tâche principale de défaire le discours prônant la non-violence comme règle d’action exclusive et s’efforce de déplacer la question éthique du droit à s’en prendre matériellement aux dispositifs émetteurs de CO2 vers une forme de devoir à le faire. Si sa position peut paraître à certains radicale, elle est cependant assez mesurée, soigneusement argumentée et documentée.

Andreas Malm reconnaît les vertus, morales comme pratiques, des actions pacifiques qui rassemblent largement et intensifient ainsi la pression morale sur le business-as-usual. Il mesure aussi qu’elles sont la garantie de la transition la plus démocratique possible. Même si les seuils de tolérance en termes de dégradation des biens sont certainement amenés à évoluer, souligne-t-il. Même s’il dénonce au passage l’illusion selon laquelle la transition énergétique, avec son urgence et les intérêts qu’elle contrarie, sera aussi douce que nous l’aimerions.

Ce que Malm refuse, c’est le discours prônant le pacifisme comme seul moyen de lutte, qu’il s’agisse de sa version morale et sacrificielle, rapidement rejetée à partir d’arguments classiques, ou du pacifisme stratégique auquel l’auteur consacre la plus grande partie de sa contre-argumentation, dirigée notamment contre la version qu’en donnent Chenoweth et Stephan, théoriciens de la résistance civile ayant inspiré les fondateurs d’Extinction Rébellion. L’échantillonnage des deux chercheurs, supposé montrer la suprématie tactique de la non-violence, avait déjà été contesté. Malm réfute en détail les analogies tissées par la doxa pacifiste avec les luttes passées, pour les droits civiques ou le combat des suffragettes entre autres, dont on tend à gommer toute violence. L’existence d’un flanc radical se livrant à des actes violents en appui de l’action pacifique est, conclut-il de cette relecture, à peu près constant. Il crée un choc déstabilisateur et donne une force décisive au militantisme pacifique, même s’il ne doit pas escompter avoir son aval.

La violence politique que l’auteur appelle de ses vœux est cependant bien circonscrite. Elle est d’abord strictement matérielle, la violence contre les personnes étant exclue – pour des raisons plus stratégiques qu’éthiques, peut-il parfois sembler. Et ce droit au sabotage paraît lui-même conditionné par la gravité des dommages à combattre, l’inefficacité avérée des seules tactiques douces face à l’urgence, l’engagement à s’arrêter s’il accentuait la répression, nuisant ainsi au mouvement pacifique, et à la condition, évidemment, de se donner les bonnes cibles : les ultra-riches en particulier, Malm insistant sur la distinction entre émissions de luxe et émissions de subsistance.

Le propos de Malm tend probablement à se diluer un peu dans cette ébauche de guide d’action qu’on pourrait taxer d’une certaine naïveté. Les exemples choisis de petites actions contre les SUV et leur air de guerre des boutons ne donnent probablement pas la pleine mesure de ce qu’engagent de plus vastes opérations de destruction. En n’abordant que légèrement l’asymétrie du rapport de force, les risques physiques et judiciaires encourus, en semblant les réserver à ceux qui auront vocation à s’y frotter, l’essai n’entre pas bien avant dans cette dimension pratique qu’il revendique. Il est certes moins ambigu qu’Erri De Luca et ses propos, relayés à l’envi par la presse, sur la noblesse et les usages figurés du verbe « saboter », avant que ne se tienne son procès pour incitation au sabotage sur la ligne à grande vitesse (TAV) Lyon-Turin. Mais il est vrai aussi que De Luca tâtait concrètement, lui, de la puissance d’entreprises privées déterminées à défendre leurs intérêts.

L’intérêt de cet essai tient probablement moins à un approfondissement de la réflexion sur la légitimité et la pratique de la violence politique qu’à son application à la crise climatique et à la façon dont il rencontre notre sentiment d’absence de prise sur ce phénomène. Il tire sa force des échos à l’énigme de Lanchester qui se répercutent tout au long de l’essai, de chiffres en arguments, et qui interrogent : le mouvement pour le climat manque-t-il de colère ou d’une conviction totale ? Est-il affaibli par la place qu’y tiennent les pronostics ? C’est l’hypothèse de Lanchester. Survivalisme et autres formes de préparation à la catastrophe laissent pourtant penser que le problème réside plus encore dans le confort d’un certain désespoir que dans le déni. C’est une des qualités de cet essai que de combattre cette dangereuse pente et de réveiller notre désir d’action.

Le Combat syndicaliste. Revue de la Confédération nationale du travail

Après 30 ans d’inactivité politique face au changement climatique, l’investissement massif du capital dans les infrastructures de combustibles fossiles ne tarit pas, rendant illusoire l’objectif d’un réchauffement climatique maintenu à 1,5°C ou 2°C. Quand l’urgence climatique se fait plus pressante, le mouvement pour le climat n’a pas réussi à inverser la tangente, ni à imposer son agenda écologique. Maître de conférences en géographie humaine en Suède, militant pour le climat, Andreas Malm propose dans son essai une analyse de cet échec, questionnant le répertoire d’actions pacifiques et l’« attachement à une non-violence absolue » du mouvement climat.

La doctrine du pacifisme stratégique a monopolisé son imaginaire. Revendiqué principalement par Extinction Rébellion (XR), cette ligne de conduite militante établit que « la violence commise par les mouvements sociaux les éloigne systématiquement de leur objectif ». Cette vision idéalisée du pacifisme est influencée par une conception de l’histoire erronée qui veut que les grands combats sociaux et politiques du XXe siècle aient été remportés grâce aux pacifistes. Les théoriciens du mouvement pour le climat effacent de leurs analyses toutes les formes de mobilisations violentes qui ont participé à rendre victorieux les processus de libérations historiques (esclavage, suffragettes, décolonisation, Apartheid, lutte pour les droits civiques aux USA, etc.).

Andreas Malm rappelle que grâce à l’existence d’un flanc radical, les mouvements de libération ont pu obtenir gains de cause. Sans Malcom-X, pas de Martin Luther King (et vice-versa). Et si le mouvement des droits civiques a pu arracher le Civil Rights Act en 1964 mettant fin à la ségrégation raciale, c’est bien parce qu’aux yeux de l’État, ces militant·es pacifiques apparaissaient comme un moindre mal comparé à la menace représentée par les Black Panthers.

Dans d’autres moments historiques, la constitution d’un flanc radical a permis de nombreuses avancées sociales ou politiques, comme ce fut le cas pour le mouvement ouvrier européen, ou la lutte victorieuse contre l’Apartheid en Afrique du Sud.

LE PIRE N’EST PAS CERTAIN

En comparaison, Andreas Malm souligne que le réchauffement climatique est un défi inédit pour l’humanité, et il lui reste peu de temps pour agir, car si « le pire n’est pas encore arrivé, il arrive, à plein vitesse ». Au-delà de tout discours catastrophiste démobilisateur, il rappelle qu’il est techniquement possible de limiter le réchauffement à 1,5°C, en instituant « une prohibition mondiale de tout nouveau dispositif émetteur de CO2 », et en réduisant les durées de vie des infrastructures existantes des combustibles fossiles. Tout le système de production doit disparaître. Aucun compromis n’est possible. L’État ne s’attaquera jamais à la propriété capitaliste, et ce n’est pas le mouvement climat dans sa configuration actuelle qui le poussera à agir. Seule solution : dépasser le pacifisme en intégrant dans son panel d’actions le sabotage des infrastructures climaticides.

Cette stratégie a deux objectifs : dissuader les investissements dans les combustibles fossiles et montrer qu’ils peuvent être mis hors service. Certes, les militant·es ne pourront pas mettre à terre, seul·es, tout le système énergétique mondial, mais peuvent pousser les États à proclamer la prohibition et la réforme du matériel existant. En sorte, il s’agit d’appliquer la théorie du flanc radical au mouvement climat, chose qui n’a jamais été réalisée aujourd’hui.

RÉSISTANCE ET SABOTAGE

Surtout que le sabotage contre des infrastructures d’énergie fossile jouit d’une véritable tradition historique : la résistance palestinienne a été pionnière dans les années 1930, dégradant les pipelines britanniques et infligeant de lourdes pertes économiques. Le Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud contre l’Apartheid, la résistance irakienne contre l’occupant américain dans les années 2000, les révolutionnaires égyptiens pendant le Printemps arabe… Plus spectaculaire, en septembre 2019, l’attaque de drones explosifs contre les installations pétrolières saoudiennes par les rebelles Houhtis du Yémen, a mis à l’arrêt la moitié de la production du pays, soit 7% de l’approvisionnement mondial.

Si les motifs politiques d’actions de sabotage sont divers, jamais aucune action n’a été réalisée au nom du climat. Plusieurs facteurs à ça, pour Andreas Malm. Les pays du Sud ont une tradition de sabotage plus riche, du fait de la présence massive d’infrastructures pétrolières sur leurs territoires. L’auteur note aussi un effondrement de l’idée révolutionnaire dans les pays du Nord, et une politisation insuffisante de la crise climatique dans nos pays. 

En Occident, quelques épisodes isolés de destruction de biens tactiques ont empêché le fonctionnement ou la construction d’infrastructures émettrices de CO2 (N-D-des-Landes, la lutte contre la destruction de la forêt d’Hambach en Allemagne, contre le pipeline Standing Rock aux USA) mais de manière générale, cette stratégie reste largement inexplorée, alors même que les machines de l’économie fossile sont le problème principal du réchauffement climatique.

MILITANTISME EN ZONE DE CONFORT

Andres Malm ne nie ni les niveaux d’engagements élevés et peu généralisables que la résistance violente exige, ni la tendance à la criminalisation et la répression des mobilisations sociales, politiques, écologiques. Mais, ça reste insuffisant pour expliquer la quasi apathie générale sur la mobilisation pour le climat : « À côté de ce qu’ont enduré les gens qui ont lutté au cours de l’histoire, le niveau de confort du militantisme pour le climat dans les pays du Nord peut être jugé passablement élevé, ce qui témoigne assez mal de l’importance du problème » note l’auteur, soulignant le fossé entre les mouvements écologistes et le répertoire d’actions des mouvements sociaux, usant parfois de la violence, de l’autodéfense comme les Gilets Jaunes.

« La question n’est pas de savoir si nous pouvons limiter le réchauffement, mais si nous choisissons de le faire » écrit-il en balayant tout fatalisme effondriste. Le mouvement climatique doit donc délaisser le pacifisme pour l’action directe combative contre les infrastructures du système énergétique. Après le moment gandhien, il faut entrer dans le « moment fanonien », en référence à Frantz Fanon, intellectuel engagé dans les luttes de la résistance algérienne pendant la décolonisation, qui dans les Damnés de la terre, légitime l’usage de la violence collective lorsqu’il est nécessaire de transformer la réalité et la société.

Guillaume

STT59-62

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