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  • Le progrès sans le peuple
  • Le progrès sans le peuple

    Ce que les nouvelles technologies font au travail

  • David Noble

  • Traduit de l’anglais par Célia Izoard

  • 256 pages

  • Parution le 5 octobre 2016

  • Format 20 x 14 cm

  • ISBN : 978-2-9813527-7-4

  • Prix : 25 $

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Dès les origines du capitalisme, le développement des technologies a partie liée avec les savoir-faire ouvriers, la machine devant se les accaparer et les rendre ce faisant obsolètes sous leur forme ancienne. Il s’agit pour le capitalisme de produire toujours plus, toujours plus vite avec des travailleurs et des travailleuses de plus en plus interchangeables. C’est pourquoi la lutte des classes prit rapidement la forme d’un combat pour la défense des qualifications ouvrières et pour l’autonomie dans l’organisation du travail. Plus récemment, la révolution ­numérique et son cortège de technologies et de robots bouleversèrent de différentes manières le monde du travail : intensification des cadences, frontière de plus en plus floue entre travail et hors travail, surveillance, déqualification, mais aussi disparition de millions d’emplois.

David Noble propose une critique radicale des nouvelles technologies en rappelant que loin de toujours représenter « un progrès », elles servent surtout les intérêts du patronat. Alors que la première révolution industrielle, au XIXe siècle, avait suscité des mouvements de résistance des travailleurs et travailleuses – les luddites entre autres –, il constate que ce n’est pas le cas pour cette nouvelle révolution technologique. Rassemblant des conférences sur les conséquences sociales des technologies, en particulier sur la façon dont elles ont servi au patronat pour saper le savoir-faire technique et la capacité d’action des travailleurs, ce livre mène ce que l’auteur appelle une « analyse de classe des technologies » en reliant la première révolution industrielle à la première vague ­d’informatisation.

Historien des sciences et des technologies, David F. Noble (1945- 2010) est biochimiste, puis enseignant à l’université. En 1998, il reçoit le prix Joe A. Callaway pour le courage civique, hommage à la lutte qu’il a menée pendant des décennies pour l’indépendance intellectuelle et contre la marchandisation de l’éducation.

On retrouve aujourd’hui une panoplie de publications critiques sur le progrès technologique. Ce qui distingue l’ouvrage de David Noble est son propos résolument engagé et une analyse de classe de la technologie s’inscrivant dans le champ de l’histoire sociale expliquant comment l’automatisation a contribué à la déqualification, à la précarisation, à la délocalisation, à la sous-traitance, bref, à la dépossession des travailleurs et des travailleuses. Dans ce recueil d’articles écrits dans les années 1980 mais toujours actuels, l’historien des sciences et techniques ne vient pas seulement déconstruire l’idéologie du progrès qui était censé multiplier nos capacités d’action : il nous convie à la résistance devant cette « dégradation systématique de l’humanité au rang de supports temporaires de production et d’accumulation » (p. 14).

Le caractère hégémonique de cette idéologie du progrès n’est pas nouveau selon Noble. Il remonterait au XIXe siècle et à la première révolution industrielle caractérisée par la mécanisation du travail qui, refrain connu, devait être vue comme un processus inéluctable auquel il fallait nécessairement s’adapter. Encore aujourd’hui, cette conception fataliste d’un déterminisme technologique faisant du progrès une réalité naturelle quasi darwinienne se retrouve dans des expressions abstraites comme « on n’arrête pas le progrès » et détourne notre attention des enjeux concrets d’exploitation. À cet égard, l’auteur ne s’en prend pas seulement aux stratégies capitalistes et aux groupes industriels qui en assurent le développement ; il critique également ceux qui, historiquement, devaient défendre les travailleurs mais qui, envoutés par le chant des sirènes du progrès technologique, finissaient par s’y soumettre.

La première révolution industrielle, qui a vu naître le mouvement ouvrier, a néanmoins donné lieu à des actes de résistance à ce « progrès ». L’auteur rappelle et réhabilite la lutte trop mal connue des luddites, ces tisserands anglais qui, au début du XIXe siècle, brisaient les nouvelles machines parce qu’ils refusaient d’être dépossédés de leur travail. Cependant, la deuxième révolution industrielle, que l’auteur associe à la vague d’informatisation d’après-guerre aux États-Unis, ne donna pas lieu à un tel mouvement de révolte – Noble allant même jusqu’à parler de paralysie collective devant cette nouvelle offensive technologique. Progressisme oblige, les représentants ouvriers devaient porter allégeance au sacro-saint progrès technologique amalgamé au progrès social, et ce, même s’il venait accentuer les rapports de domination, le « laisser-innover » devenant un autre visage du laisser-faire de l’économie de marché. Coupée de la concrétude et du présent de la réalité des travailleurs, la question technologique se retrouvait projetée dans une vision fantasmatique d’un monde à venir qui ouvrait peut-être des chantiers de recherche prometteurs pour les universitaires, mais abandonnait les travailleurs dans un état de subordination.

Qu’en est-il alors des solutions de rechange technologiques ? À cette question, l’auteur répondrait par une autre : peut-on créer de telles alternatives sans transformer à la base les rapports de pouvoir ? Car David Noble nous met en garde contre les fausses promesses qui « renforcent le fétichisme culturel pour la transcendance technologique » (p. 53). Comme le proclamaient les ouvriers de General Motors en Ohio lors de leur mobilisation, au début des années 1970, il importe de reconnaître d’abord que le progrès technologique est un processus politique et non un processus automatique et inévitable.

L’auteur ne condamne pas toute forme de technologie ; il nous invite plutôt au dépassement de l’attitude révérencieuse ainsi qu’au débat politique permettant l’élaboration de critères de discernement. Rappelant l’importance de ne pas confondre avenir et présent – car « on ne peut pas plus se permettre de délaisser l’avenir au profit de préoccupations immédiates, qu’on ne peut se concentrer sur l’avenir en abandonnant le présent » –, l’auteur conclut qu’il faut lier les deux et, dans cet esprit, « réévaluer les sciences et les technologies selon des critères liés à l’enrichissement de la vie » (p.89). Un rappel salutaire.

C’est bien connu, le travailleur, grégaire et conservateur, voit d’un mauvais œil les mutations et évolutions technologiques. Le patronat va de l’avant, le travailleur freine des quatre fers ; ainsi va le capitalisme depuis plus de deux siècles.

L’historien américain David Noble bat en brèche cette idée simpliste avec « Le progrès sans le peuple », une compilation de quelques-uns de ses textes de réflexion sur le capitalisme, la technologie et la lutte des classes écrits dans les années 1980. Dès les origines du capitalisme, le développement des technologies a partie liée avec les savoir-faire ouvriers, la machine devant se les accaparer et les rendre ce faisant obsolètes sous leur forme ancienne. Il s’agit pour le capitalisme de produire toujours plus, toujours plus vite avec des travailleurs de plus en plus interchangeables. C’est pourquoi la lutte des classes prît la forme d’un combat pour la défense des qualifications ouvrières et de l’autonomie dans l’organisation du travail ; et on se sait ce que le mouvement social doit à l’aristocratie ouvrière.

Avec le célèbre exemple des Luddites, ces tisserands indépendants, briseurs de machines dans l’Angleterre du début du 19e siècle, David Noble nous rappelle opportunément que ces travailleurs s’opposaient à l’introduction des machines à tisser et filer parce que cette évolution entraînait, non seulement la mise au chômage de nombre d’entre eux mais aussi la régression des droits et des capacités d’action de ceux qui, d’artisans indépendants travaillant à façon devenaient des prolétaires soumis à l’ordre de la fabrique. Goûtez le ton ironique employé par Lord Byron qui se fit leur défenseur devant la Chambre des lords : « Les ouvriers sans ouvrage, dans l’aveuglement de leur ignorance, au lieu de se réjouir de ces perfectionnements dans les arts, si avantageux au genre humain, se regardèrent comme des victimes sacrifiées à des améliorations techniques. Dans la folie de leur cœur, ils s’imaginèrent que l’existence et le bien-être de la classe laborieuse et pauvre étaient un objet de plus grande importance que l’enrichissement de quelques individus. » L’histoire sociale est jonchée de luttes contre des évolutions technologiques pensées sans le peuple, et contre lui. Les Etats-unis ont connu des grèves importantes dans les années 1970, comme à Lordstown par exemple, usine ultra-moderne installée dans un coin perdu de l’Ohio et peuplée de prolétaires sans culture syndicale. La direction pensait y trouver paix sociale et productivité, elle récolta des formes de refus du travail, de la résistance collective, des grèves sauvages contre les cadences, de l’opposition au travail des robots. Au centre de tous ces combats : la lutte pour le contrôle du travail et du développement technologique.

Dans les années 1980, en Europe, les ouvriers se sont inscrits dans ces luttes contre la dépossession de leur savoir-faire, contre le tout technologique, quand bien même il fallut pour cela passer outre les organisations syndicales. En Angleterre, les ouvriers du groupe Lucas aéronautique ont arraché un moratoire sur l’introduction de nouvelles technologies en occupant l’usine et en se saisissant des machines. Dans sa réflexion sur les luttes contre ce développement néfaste des technologies, David Noble évoque le rôle essentiel des intellectuels. Il plaide pour leur alliance, seule façon d’enrayer cette évolution destructrice qui se traduit par un chômage structurel, de la désagrégation sociale, la dégradation des métiers, la déqualification des travailleurs et l’instabilité politique. Trente ans ont passé depuis l’écriture de ces textes et force est de contester que les mobilisations des travailleurs ne sont pas parvenues à contenir les mutations technologiques. Pourtant, David Noble reste persuadé qu’elles demeurent essentielles : « La résistance, loin d’être une erreur, écrit-il, n’a jamais été aussi essentielle parce qu’elle permet d’agir à la fois à court terme et à long terme. C’est une réponse aux suppressions d’emplois immédiates mais c’est aussi une opposition directe au marivaudage multinational. Résister à l’automatisation peut entraver la mobilité d’un groupe, restreindre sa capacité d’action et affaiblir son pouvoir sur nos vies et notre avenir. »

Les éditions Agone, toujours prêtes à surprendre le lecteur avec des publications sorties des sentiers battus, ont décidé de traduire et publier un ensemble d’articles du défunt historien des sciences et des techniques américain David Noble. Ce dernier est mieux connu aux États-Unis pour s’être fait notamment virer de plusieurs grandes institutions (comme le MIT) en raison de son engagement contre le progrès technique et les nouvelles technologies. Car si Noble fut un éminent historien, ce n’était pas comme d’aucuns retranchés dans leurs bureaux à dépoussiérer de vieilles archives. Il était aussi inscrit dans sa cité et ses luttes. Et cela se ressent dans Le progrès sans le peuple : dans ce recueil d’articles rédigés dans les années 1980, réflexions militantes côtoient analyses critiques, enquêtes psychosociologiques et rappels historiques de luttes populaires. Assez bien structuré, l’ouvrage commence par une réhabilitation des luddites, ces briseurs de machines qui se révoltaient contre les conséquences des débuts de la révolution industrielle anglaise, et que l’historiographie dominante a transformé en obscurantistes refusant le progrès. S’ensuivent des analyses de la propagande progressiste, des conséquences de l’automatisation… Mais le plus intéressant réside dans sa critique des lieux communs sur le progrès : celui-ci ne serait pas si efficace économiquement parlant, et en réalité l’on investirait dans la technologie afin d’accentuer le contrôle du patronat sur ses travailleurs, plus que par recherche du profit. Ainsi, les technologies d’automatisation, rappelle-t-il, doivent beaucoup aux recherches faites par l’armée… Et donc à une vision autoritaire de l’outil de production favorisant le contrôle des exécutants par les dirigeants. Il met aussi en avant des raisons plus psychosociales, notamment d’image de l’entreprise, comme l’atteste cette citation d’un cabinet de conseil en stratégie : « [Les entreprises] achètent le robot le plus gros, le plus rapide et le plus sexy quand, il faut bien le dire, la plupart du temps un système très simple pourrait suffire. […] Non seulement elles font des erreurs, mais elles s’aperçoivent qu’il va falloir deux ou trois fois plus de temps et d’argent pour faire fonctionner cet équipement ». Un ouvrage salutaire en ces temps d’uberisation monomaniaque et de culte de l’innovation pour l’innovation.

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